Diffusée sur la BBC, Paradox sonne, sur le papier, comme l’adaptation officieuse de Minority Report. L’enquête menée a priori, images d’un drame à venir et course contre la montre constituent l’architecture de la série. Culture anglaise oblige, le show se jouera en mode mineur. Ambiance confinée malgré l’ampleur de certaines catastrophes à venir, toute la réussite de cette première series tient dans ce facteur : garder le show à une échelle moindre, afin d’en maîtriser tous les rouages et évolution. Pari remporté.
Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. Influences conséquentes (le film de Spielberg, l’œuvre de K. Dick) et science-fiction grotesque (images venues de l’espace, pseudo savant-fou avec option autiste), ambiance froide, voire désincarnée cueillent les spectateurs dans les premières minutes. Seule la brutalité des images, scènes décomposés, puzzle à construire, sens à déterminer procurent intérêt ludique et suspense immédiat. La série ne perd pas de temps à plonger le spectateur comme personnages dans l’action. Aux longues explications impossibles, on savourera la crédulité forcée, ce suspense inutile sacrifié justement, pour laisser les interrogations à venir prendre forme et se confronter à la réalité.
Les scénaristes parviennent à marier dans un ensemble très programmatique le caractère urgentiste de l’évènement (action), les personnages (humains) et les thématiques liées à l’ensemble (réflexions). Une partition remarquable, bien dosée, donc chaque élément est traité avec attention. On pourrait reprocher quelques facilités scénaristes, ficelles visibles ou situations clichées, mais dans un ensemble aussi exigeant et exigu, le fait même d’être parvenu à maintenir un équilibre force le respect. Dans une vision hypothétique (et cauchemardesque), on imagine le même objet entre les mains d’américains et les chances de se retrouver avec un FlashForward bis sont importantes. Pas d’intrigues diluées, de personnages creux et rebondissements éventés dans Paradox, mais une nervosité maintenue sur cinq épisodes et qui ne souffrent jamais de sa formule répétée. On file comme sur des montagnes russes, pics d’intensités dramatiques, émotions à fleur de peau, où l’on permet quelques respirations réflexives afin d’éviter l’action creuse.
Théorie divine ou quantique, conséquences des actes, action sur le futur, place de l’être humain dans ce dispositif, la série anglaise aborde toutes ces interrogations, se servant des personnages comme instruments ou illustrations. Jamais confuse ou plombée par la nature de ces réflexions existentielles ou métaphysiques, les thèmes abordés enrichissent l’action d’une couche supplémentaire, comme un fonctionnement après coup, en deux temps. Il ne s’agit pas de sacrifier l’aspect théorique de la série au profit de l’action, mais de servir de celle-ci pour exposer ses possibilités tout en ne révélant aucune réponse. Une façon d’entretenir un autre suspense et laisser au spectateur le choix des possibilités. Dans une formule empruntée à 24, pris en otage d’un compte à rebours, les personnages se débattent avec leur propre conviction, assumant peu ou prou à terme un complexe de dieu toujours délicat.
En cinq épisodes, la série a su explorer différentes facettes du procédé, comme autant d’illustrations thématiques, capables de fournir matériaux théoriques et instants physiques. Une façon intelligente de tirer profit d’un dispositif, en évitant la redite, privilégiant l’exploration du potentiel à chaque nouvel épisode. Et la série n’hésite jamais à plonger les personnages face à leurs nouvelles responsabilités. Paradox joue une partition très maîtrisée. Peut-être un peu trop, car au calcul précis, manque un petit grain de folie capable d’emballer la machine. Et l’efficacité de l’action sous tension ne parvient pas toujours à offrir cet élément de folie brute. Le show s’avère néanmoins une réussite solide, s’appuyant sur une première serie impeccable et ouverte sur l’avenir.
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