Lorsque l’on souhaite résumer Downton Abbey en essayant de trouver un référent, on ne peut s’empêcher de mentionner Gosford Park de Robert Altman. On y trouve en effet l’illustration du fonctionnement d’une grande maison de la noblesse anglaise, la scénographie verticale ( « upstairs / downstairs ») et l’œuvre chorale. Analogie évidente après rapide coup d’œil aux crédits : Julian Fellowes est l’auteur des deux scénarios. Placée au début du 20ème siècle, la série raconte la vie du manoir de Downton Abbey, des nobles résidents aux modestes employés.
Débuter une série chorale est toujours un exercice périlleux. Où toute l’habileté du scénariste consiste, en bon équilibriste, à marier l’assurance à la beauté du geste. Ici, il est secondé par le réalisateur. Modèle du genre, la première séquence de la série associe l’art de l’introduction à la fluidité du mouvement permanent. Plongé dans le rush matinal, on découvre les différents personnages dans leur tâche, souligné par un bref échange afin de cerner leur rôle, leur psychologie élémentaire et la géographie de la maison. La réalisation privilégiera le plan séquence (à la steadicam) pour apprécier le fourmillement ordonné et rebondir de personnages en personnages sans subir les syncopes de la coupure.
L’enjeu critique ne repose pas sur cette séquence, mais sans cette dernière, l’articulation du récit aurait sans doute posé bien plus de problèmes. Downton Abbey tisse un nombre important d’intrigues. Des trajectoires (plusieurs par personnages) longues ou condensées, rectilignes ou angulaires, qui dessinent un ensemble complexe aux multiples ramifications mais conservent une lisibilité irréprochable. De cette profusion luxuriante, Julian Fellowes élabore des récits à la simplicité insolente. Ce qui se joue, à Downton Abbey, ne possède aucun caractère novateur ou inventif. C’est l’agencement des intrigues associée à une direction artistique exquise (interprétation comme réalisation) qui élève la série à un niveau canonique.
La force de la série tient dans la dimension humaine de ses intrigues, son humilité et la foi en ses personnages. Par l’attention portée aux détails, l’application minutieuse qui caractérise chacun des micro-récit. Sobriété absolue (très anglaise dira-t-on), qui trouve, dans la dimension domestique de la série, le loisir d’exprimer des émotions essentielles. Tout l’art de Julian Fellowes repose la puissance dramatique donnée à des situations au potentiel a priori faible. Une histoire d’amour trouve grâce auprès du téléspectateur par le non-dit et l’extrême douceur qui se dégage du couple lorsqu’ils sont seuls à l’écran ; la fin du pilot offre un moment jubilatoire, l’issue était pourtant prévisible, mais la scène conserve malgré tout son intensité ; la rage nous habite face aux esprits machiavéliques qui animent certains personnages. Toutes les séquences fonctionnent parce que le scénariste accorde un soin particulier à les mettre en valeur. Pas besoins d’élaboration ambitieuse dans la forme ou de grands coups de théâtre pour apporter du crédit à son récit. La richesse vient aussi de la simplicité.
Cycle : Période dont le terme correspond au retour de certains phénomènes, qui se reproduisent dans le même ordre. Cette saison n’est pas loin de correspondre à cette définition, dans un sens non péjoratif. Durant les deux années que constituent la saison, de nombreux évènements se sont produits. Mais en regardant les dernières images, on ne peut s’empêcher de trouver un certains mimétisme avec les premières et au statu quo observé sur certains personnages ou situations. Cet immobilisme est un leurre, bien sûr. Mais il introduit un fait intéressant : Ici, le contexte historique influe sur la destiné des acteurs du récit. Comprendre qu’ils sont soumis à l’évolution d’une époque qui se modernise. Fin d’une ère, ce retour à un point de départ vicié ne serait-il pas synonyme d’une rupture dans la tradition ? L’avenir de Downton Abbey, son héritage, resteront probablement au cœur d’une seconde saison que l’on attendra avec beaucoup d’impatience.
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