Luther, série anglaise policière diffusée sur la BBC One, ne s’appelle pas ainsi par hasard. En résumant son œuvre au personnage principal, Neil Cross indique ses intentions : Placer l’homme et son histoire avant le genre policier.
Flic controversé suite à une poursuite/confrontation avec un pédophile qui a plongé ce dernier dans un profond coma (séquence d’ouverture qui définit très bien le personnage), John Luther est ce genre d’homme à placer la morale (sa morale) avant l’exercice. Quitte à sacrifier sa réputation, son couple. Intelligent, cultivé, affuté, mais aussi impulsif, colérique, parfois violent, une combinaison qui caractérise ce (anti)héros. Souligné par le charisme magnétique d’Idris Elba (vu dans The Wire aux US), on résume ainsi la qualité principale de la série.
Si les anglais maîtrisent cet art de reposer un show sur les épaules d’un seul personnage, c’est parce qu’ils ne diluent jamais ce principe dans une narration fleuve. Constituée de six épisodes, la première (et unique à l’heure d’écrire ces lignes) saison centralise l’attention autour de sa figure principale. Malgré tout, les personnages satellites parviennent à exister. Utilisés à bon escient, ils développent Luther, par leurs confrontations directes. Effet intéressant qui repose sur une habile gestion de l’écriture et de la progression dramatique de la série (sa relation avec son ex-femme et son nouveau compagnon, son rapport avec ses collègues, son lien avec Alice). Le rythme de la saison est intéressant, fonctionnant par à coup. Un premier épisode matriciel, où Luther est placé devant ses propres contradictions (Alice, personnage fantomatique, double de Luther, tendance Némésis). Suivent, trois épisodes « stand alone », qui brillent autant par des intrigues policières classiques et bien traités, que par les éléments plus « feuilletonnants » appliqués à Luther. Enfin les deux derniers constituent un arc final où tout s’enchaîne de façon imprévisible et entraîne la série sur un terrain plus nerveux.
La différence de ton caractérise très bien Luther. Fin limier, interrogateur génial, cruel et manipulateur, mais également physique. John, la tête et les muscles. Avec un esprit qui navigue dans des eaux un peu troubles, flirtant avec la folie. Le personnage exerce une véritable fascination (aidé par l’interprétation d’Idris Elba). Il possède toujours un coup d’avance par rapport au spectateur. Son intelligence va plus vite que la notre. Mais colosse aux pieds d’argile, cette supériorité évidente, ce monstre se transforme posture, pour cacher une vulnérabilité sentimentale. Zoé, son ex-femme, entre amour et obsession, hante tous les épisodes. Elle humanise Luther, mais joue les vecteurs de sa folie. Personnage bien dessiné, forte et fragile, elle offre un contrepoids à la froideur inquiétante d’Alice. Cette dernière, à la psyché aussi troublée que celle de Luther, aurait pu faire sombrer la série. Finalement, elle se révèle indispensable, sa relation avec John agit comme une pause dans la narration. Mouvements introspectifs, auto-analyses, chacun semble parfois s’allonger sur le divan de l’autre. Cela renforce la part trouble de Luther, comme ce dernier cherche conseil chez l’unique personne capable de rivaliser avec son intelligence : une meurtrière sociopathe qu’il n’a pas pu arrêter.
Luther ne repose sur aucun artifice. Aux sources des bonnes séries, se trouvent des bons personnages et de bonnes histoires. Neil Cross ne cherche pas à redéfinir cette évidence. Il la pratique avec une foi inébranlable. La série policière, genre engorgé de centaines de créations, possède encore des choses à dire. Et les anglais semblent détenir un savoir infaillible. Luther est une nouvelle preuve. Récit policier habile, porté par des comédiens irréprochables et habités par leur rôle. Quand les talents convergent au sein d’une œuvre, le résultat est toujours positif. Dans le cas de Luther, elle explose à l’écran. Seule ombre au tableau, le non-renouvellement (à ce jour) de la série (audience enregistrée moyenne). Si la série en reste là, ce final s’avère possible, mais insatisfaisant.
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Très bonne série qui montre encore une fois que les anglais n’ont pas peur d’y aller franco contrairement à nous, j’ai lu ici et là que la BBC était en négociation avec Idriss Elba pour une saison 2 mais que c’était compliqué du à son planning, donc que cela serait peut être uniquement 2×90′.
Tu es mieux renseigné que moi. Si une suite est envisagée malgré tout, sous n’importe quelle forme (unitaire ou 2×90′, etc…), je saurai m’en contenter et pourrais ainsi apprécier une vraie conclusion.
Sinon, oui, en France, on n’est pas (encore ?) capable de produire de telles séries. A ce titre, je trouve que les anglais vont finir (ou l’ont-ils déjà fait ?) par dépasser les américains dans le genre.