Braquo, saison 01 : (Auto)Destruction

Braquo, saison 01 : (Auto)Destruction

Lorsque l’on s’apprête à critiquer une œuvre d’Olivier Marchal, on sait qu’à un moment, l’article déviera sur l’homme. Rares sont les auteurs à faire autant corps avec leur travail, au point de ne plus pouvoir les différencier. Comprendre que la démarche personnelle qui anime le réalisateur/scénariste est si intense et se nourrit d’un passé à peine consumé que la frontière se dissipe et les reproches effectués s’adressent autant à l’œuvre, qu’à l’homme. Ce vieux routier de la fiction policière (au cinéma comme à la télévision) traine son ancien métier de flic comme un sacerdoce. Creusant, de films en séries, cette vision désenchantée comme une tentative cyclique d’exorcisme. Cette tension permanente, ces sentiments à fleur de peau, couplés à une révérence un peu trop voyante envers certains artistes ou œuvres ont fourni à ses créations un aspect bancal. Aux intensions les plus louables, à l’attitude volontaire, s’ajoutent des influences trop flagrantes, à peine digérées. Un œil et une plume trop guidés par des fantasmes recyclés.

Braquo n’échappe pas à la règle « à la manière de… ». Après Michael Mann et le cinéma, Marchal à s’attaque à The Shield. Envie de bousculer la fiction policière française avec des flics borderline, de testostérones et d’une violence graphique permanente. OIivier Marchal bénéficie du contexte permissif offert par Canal + et peut enfin (après un refus de TF1 de produire une œuvre aussi sombre et violente) mettre en scène son opéra hard boiled. Booster le genre à grand coup de latte, voilà une démarche fraîche et salvatrice dans le sens où le flic pépère, par son omniprésence, finissait par lasser.

Bien sûr, prendre The Shield en référence absolue, inscrite dans chaque image ou presque, expose Braquo à la comparaison perpétuelle. Et à ce petit jeu obligatoire, la série française sort grande perdante. Pourtant, de l’ambiance au point de départ, la filiation fonctionne sans se sentir encombré par une paternité imposante. Situation initiale convaincante (la bavure, la brigade d’intervention), personnage bien dessiné, on pénètre dans Braquo en territoire connu, avec juste une petite variation nationale. Jean-Hugues Anglade, magnétique et bourré de charisme masculin, campe un Eddy Caplan comme un cousin de Vic Mackey. Et c’est lui qui dirigera, un peu comme son homologue américain, cette première saison. Autour de lui, une galerie de gueules durs, tendres, qui bénéficient d’une interprétation solide. Marchal réussit son interprétation, sa transformation du chef d’œuvre de Shawn Ryan en un objet qui cultive avec équilibre influence et personnalité.

Alors, pourquoi « grande perdante » quand le constat semble aussi positif ? Parce que Marchal déçoit là où on ne l’attendait pas : la construction de son histoire. On imaginait le voir plié sous le poids de l’influence (comme au cinéma avec 36, Quai des Orfèvres), mais c’est dans l’élaboration de sa trame dramatique qu’il chute. Bien sûr, l’aura de The Shield agit en référent, mais jusqu’à un certains degré ; le script général d’Olivier Marchal, accuse de sérieux dysfonctionnements. L’auteur déploie un peu trop d’enthousiasme à plonger ses personnages principaux dans une spirale (auto)destructrice. Accumulation de bavures, d’évènements échappant à leur contrôle finissent par les acculer. De cette trajectoire, s’exerce des forces qui plongeront la série dans un climat tout en ruptures et mouvements opératiques. L’analogie à The Shield revient sous une forme évidente. Seulement la série de Shawn Ryan aura mis plusieurs saisons (sept au final) pour orchestrer ce théâtre urbain, en se limitant à une intrigue principale par année, se compulsant au fur et à mesure, quand Marchal tente d’introduire deux voire trois lignes principales. Ainsi, les quatre premiers épisodes s’enfoncent dans une structure hyperbolique et annihile la portée dramatique et la cohérence de l’ensemble. Quand le trop est l’ennemi du bien. Et la série ne retrouvera une harmonie qu’une fois certaines storylines conclues.

Olivier Marchal pêche une nouvelle fois par excès. Envie de trop bien faire, d’en mettre raz-la-gueule au point de forcer son trait. Résultat d’autant plus frustrant que tous les ingrédients sont réunis et qu’une série aussi sombre, violente, comme sous électrochoc, on n’en avait pas vu à la télévision française. Seuls quelques épisodes du Commissaire Moulin (sur lequel Marchal a travaillé) peuvent prétendre à ce résultat (on peut penser à Engrenages pour l’univers glauque, mais le traitement y est moins frontal). Le dernier épisode de la première saison met autant les personnages que Marchal au pied du mur. Dans l’urgence, le scénariste est parvenu à maîtriser son récit. Expulsion des trames inutiles, pour se concentrer sur l’essentiel et atteindre le paroxysme tant attendu. Spectateurs scotchés à leur fauteuil quand s’écoulent les dernières minutes, où, alors que l’on pensait expirer un râle de soulagement, Marchal conclut par un direct au ventre. C’est dans la simplicité brute que s’exerce le mieux le talent de l’ex-policier. A force de répéter les mêmes erreurs, on peut espérer voir le tir corrigé pour la seconde saison.

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