Millennium

Millennium

Auréolé du succès d’X-Files, Chris Carter propose un nouveau projet à la Fox. Ne voulant certainement pas voir la poule aux œufs d’or convoiter vers d’autres horizons, le network accepte, sans trop regarder dans quoi elle s’engage.

Frank Black déménage avec sa femme Catherine et leur fille Jordan de Washington pour la pluvieuse Seattle. Il laisse derrière lui un métier (agent du FBI) et un maniaque qui lui envoyait des polaroids de sa femme et sa fille. Avec cet emménagement, il espère ainsi commencer une vie plus saine, équilibrée, loin des meurtres horribles et tueurs déséquilibrés dont il commençait à s’habituer. Repos de courte durée quand il est approché par Peter Watts, émissaire d’un obscur groupe appelé Millennium. Ce groupe se présente comme un organisme composé d’anciens agents, qui aident la police dans des enquêtes de crimes violents et l’arrestation de serial killer.

La ligne narrative de Millennium aura connu plusieurs changements au cours de son existence. Si elle commence comme une série policière influencée par l’esthétisme de Se7en, elle deviendra show théologique, pour enfin se tourner vers le récit de conspiration. Au début de la seconde saison, Carter, en pleine écriture et tournage du premier long métrage X-Files, doit laisser les rênes du show à James Wong et Glen Morgan (revenus de l’échec de leur série de science-fiction Space : Above and Beyond). Les deux hommes appliquent une vision particulière, pleine de mysticisme catholique et donne un nouveau visage au groupe Millennium. Devant la baisse de l’audience et une tournure qu’il ne cautionne pas vraiment, Chris Carter décide de reprendre la série en main, en lui donnant ce côté post-X-Files avec un retour à une conspiration plus politique que spirituelle.

On explique souvent les raisons de l’échec de la série à son ton sombre et désespéré, souligné par le leitmotiv : The End is Near. On peut néanmoins relativiser cette position. On aurait trop tendance à rapprocher X-Files et Millennium, sous le seul prétexte qu’il partage le même auteur. Comprendre que les deux séries entretiennent des rapports et thèmes communs, mais que les chiffres et le culte autour d’X-Files ne doivent pas servir de référant. En trois saisons, la série a démontré de remarquables qualités d’écriture et sa nature protéiforme lui aura même permis cette notable existence. Une autre raison pourrait expliquer l’accueil frigide que reçut la série. Au même moment sort le show Profiler, qui traite d’un sujet similaire sur le papier. Le traitement est opposé, les personnages n’entretiennent que peu de rapport, mais c’est suffisant dans les esprits pour comparer l’une et l’autre. Et le ton plus humaniste et lumineux de Profiler assurera la victoire.

La première saison souffre peut-être de redondance. Formula show classique, la vision répétée de crimes horribles et meurtriers sadiques et déments provoquent l’overdose. La série s’applique si bien à démontrer un monde malade et dépressif, que l’absence d’espoir rédempteur entraîne le spectateur vers un sentiment déceptif. Et la maison jaune des Black ou le sourire de la petite Jordan n’offre pas un contrepoint suffisant. Il est difficile de savoir exactement ce que Carter tentait d’entreprendre avec Millennium. Bien que l’on puisse voir des théories millénaristes dans l’accroche du show et le compte à rebours sur l’ordinateur de Frank Black, la structure même de la saison offre une vision un peu détachée. Sinon celle de présenter une figure du mal omnipotente qui agit à l’intérieure des hommes. En leur faisant commettre les pires actes. Dans cette longue introduction (22 épisodes), la lutte a déjà commencé pour le salut de l’homme.

Sur la base d’un désordre spirituel, entre incarnation d’un mal absolu (Lucy Buttler, l’homme au Polaroïd) et source diffuse hantant des corps (les autres meurtriers) James Wong et Glen Morgan vont entreprendre une démarche plus franche et théologique. Et donner à la série une structure évanescente et sans prise, où des épisodes complexes agissent comme l’illustration d’un concept, sans forcément raconter d’histoires (02×02 : Beware the dog). La lutte du bien contre le mal prend des atours religieux, les auteurs creusent la mythologie catholique et offrent au groupe Millennium un visage plus obscur aux intentions mystérieuses. L’aspect fantastique de la série est parfaitement assumée (Laura Means et ses visions), quand dans la première saison, le don de Frank Black restait discret.

L’évolution de cette seconde saison laissa beaucoup de monde perplexe. Jugé trop complexe, obscur, rompant avec l’aspect thriller des débuts, elle n’accueillit guère d’enthousiasme. Par certains aspects (et sa trajectoire tragique), elle rappelle Carnivale avec six ans d’avance. Récit exigeant, épisode miroir dont la finalité n’apparaît que plus tard dans la saison, concept religieux prédominant, lutte ancestrale du bien contre le mal. Wong et Morgan ont peut-être posé la barre trop haute. Ils sont pourtant parvenus à créer une saison à la cohérence redoutable et qui se termine par un climax époustouflant, dont la puissance n’a rarement été retrouvée à l’écran et figure parmi les séquences traumatiques les plus intenses.

En reprenant la série en main, Chris Carter déconstruit tout le travail des deux scénaristes-producteurs. Remis à un niveau plus terre à terre, le nouveau Millennium revient donc sur des bases politiques. Et fait de Frank Black un nouveau Mulder-seul-contre-tous, auquel il adjoint une partenaire (Emma Hollis). La saison souffre de cette nouvelle orientation. En coupant court à son passé immédiat l’objet Millennium est devenu trop mouvant et immatériel pour fidéliser son audience. Le public s’étiole et la Fox met un terme à l’aventure, empêchant la série d’une quatrième saison qui s’annonçait comme la dernière. Dans ses derniers épisodes, Carter met en scène un nouvel arc narratif prometteur qui restera, malheureusement, sans suite. Et ce n’est pas la pseudo-conclusion bâclée et honteuse, insérée dans une saison d’X-Files qui offrira une fin digne de ce nom.

Quand il a commencé à écrire le personnage de Frank Black, Chris Carter n’avait qu’un seul nom en tête : Lance Henriksen (Aliens, Scream 3, Powder). Après quelque négociation et lecture de script, l’homme accepte enfin. Rôle sur mesure, qui permet à l’acteur d’exploiter son talent, lui a plutôt œuvré dans d’obscures séries B guère recommandables. Lance Henriksen incarne un Frank Black convaincant, dont le visage marqué, accuse les coups d’enquêtes trop sombres et d’obsessions sanglantes et fanatiques. Sa silhouette informe dans un manteau verdâtre semble porter le poids du monde sur ses épaules. La réussite du show tient beaucoup à l’interprétation de l’acteur.

Millennium a d’abord marqué par son ambiance sombre et désespérée, qui lui attira les foudres d’associations familiale et catholiques aux Etats-Unis. Son climat anxiogène et sa violence suggérée entraîneront son lot d’incompréhensions (on criera à l’apologie de la violence, par exemple). La série a su développé un ton sans commune mesure, souligné par la musique tout en mélancolie de Mark Snow (également à l’œuvre sur X-Files). Et restera unique et originale, encore aujourd’hui.

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