Sons of Anarchy, saison 02 : Welcome to Charming

Sons of Anarchy, saison 02 : Welcome to Charming


Il est préférable d’avoir vu la première et seconde saisons avant de lire le texte. La critique contient de nombreux spoilers

Sorti du giron de Shawn Ryan et The Shield, la création de Kurt Sutter suscitait l’attention. Même hôte, FX, et même volonté de prendre des personnages principaux borderlines. Seule (et notable) différence, Sutter place ses héros dans l’illégalité la plus franche, sans jouer avec les frontières. La première saison nous présentait le gang de motards (les Sons of Anarchy du titre) comme une entreprise. Son fonctionnement, sa hiérarchie, ses conseils d’administration, les votes des décisions importantes, sa comptabilité, ses OPA hostiles, ses concurrents ou ses partenariats. Une organisation bien huilée, dont l’illustration très schématique (un épisode, un  thème) figeait un peu trop les premiers épisodes.  Mais Sutter a appris à la bonne école, la fin de saison, explosive, atteignit un climax magnifique, qui lançait véritablement la série.

Sur ces bases solides, Kutter peut mettre en place les enseignements appris sur The Shield. Et donner l’ampleur dramatique nécessaire à sa fiction shakespearienne. Pour une fois, le terme n’est pas galvaudé. Les spectres d’Hamlet hantent Charming et les Sons of Anarchy. Jax, visité par le fantôme de son défunt père, par l’intermédiaire d’un livre, sorte de pamphlet anarcho-philosophique sur les devoirs et devenir du club. La précédente saison se refermait sur l’accusation contre le « père » (Clay), chef des Sons, et beau-père de Jax. Kutter connait ses classiques et les digère très bien.

Cette seconde saison possède une construction et une progression digne de The Shield. Intrigues multiples convergentes, personnages charismatiques, luttes intestines, un programme riche mené avec maestria dans une ambiance pressurisée. La tension s’exerce dès les premiers épisodes, avec l’arrivée d’un nouvel ennemi. Où l’on atteint un rare degré de violence au terme du season premiere. Après le final traumatique de la saison une, Kutter semble prêt à attaquer les choses sérieuses. On reconnait les méthodes employées : multiplier les intervenants pour offrir un maximum de possibilités dramatiques, faites de micro-conspirations, de manipulations, de coups doubles ou de trahisons. Et contrairement à la première saison, Kutter ne se contente pas d’offrir un seul adversaire aux Sons of Anarchy, mais de déclencher une véritable petite guerre à Charming. De créer d’authentiques enjeux, un suspense omniprésent, avec en (fausse) seule soupape, la relation Clay/Jax.

L’arrivée de la League of American Nationalists permet l’introduction de deux figures importantes de cette saison : Ethan Zobell et A.J. Weston. Deux faces d’une même pièce, aux vagues relents du KKK. Supériorité de la race blanche, valeurs rétrogrades, leur crédo stipule de rendre l’Amérique aux Américains et que dieu les bénisse. Seulement à l’inverse de Darby, la League possède certaines valeurs « pratiques », vicieuses, permettant d’arriver à leur fin (prendre possession d’une petite ville) en (presque) toute légalité. Un adversaire de choix face aux motards de SAMCRO, plus habitués aux petites guerres de gangs, quand il s’agit de prendre possession d’un marché ou récupérer un bout de territoire. Cette confrontation aurait pu tenir une saison, mais Kutter retient la leçon de la première, où un seul adversaire ne produisait pas les résultats escomptés. Il convoque ainsi tout Charming et ses environs à venir participer à la danse. Association contre-nature, nouveau business, l’ampleur devient gigantesque, à couper le souffle d’un spectateur qui en prend plein les yeux.

L’autre grande réussite (avec sa narration parfaite, sans temps mort, magnifique crescendo) tient dans la trajectoire des différents personnages. Chacun gagne une vraie épaisseur, une psychologie travaillée sur le rythme des évènements. Personnages éponges qui subissent les agressions et devront composer avec leurs propres démons. Opie et la mort de sa femme, Tig et sa bavure, Jax contre Clay, le viol de Gemma, le passé de Chibbs, Tara et son nouvel environnement,… chaque personnage possède son intrigue traitée sur l’intégralité de la saison.  Et l’on se rend compte combien le travail de la première a payé. Combien les épisodes figés ont permis cet essor. Un travail sur le long terme qui n’a pas encore dévoilé tout son jeu.

Alors que l’ensemble de la saison est porté par un récit d’une incroyable densité, Kutter et son scénario parviennent néanmoins à isoler deux personnages. Instants plus délicats, un peu à l’écart mais nourris par l’évènement traumatique du season premiere. Où Gemma s’extirpe de son schéma de patronne manipulatrice pour une configuration plus humaine et surtout vulnérable. S’en suit, une relation-qui-ne-dit-pas-son-nom, intense, avec le vieux shérif Uncer, touché par la maladie et la solitude. Deux personnages blessés, diminués, forcés malgré eux de subir les évènements de Charming.  Ce sont ces petits sursauts dans la narration qui permettent à la saison de s’élever. Parvenir à créer des moments d’abstraction dans la guerre qui se joue. Comme la relation entre le fils irlandais et la fille Zobell. A la fois acteurs et victimes d’un combat qui les dépasse un peu, mais dont ils restent partis prenantes.

Mais le grand thème qui parcoure cette saison reste la paternité et la filiation. En point de mire, au centre, la relation de plus en plus difficile entre Jax et Clay. Le beau-père et le fils. La discipline contre la rébellion. Le président contre son vice président. Première victime, SAMCRO. Dissension au sein des membres, clans à l’intérieur du clan. Jusqu’à l’implosion, alors que les motards sont en prison. Un combat homérique, brutal, où la colère, la résignation, la vengeance, la rancœur explosent. Clay ne sait plus comment gérer l’évolution de son fils d’adoption, parasité par une lecture d’outre-tombe. Jay voit en Clay que le meurtrier de Donna et un règne dépassé, déphasé, périmé. Une vision du club qui ne tient plus, tente de s’accrocher aux branches d’un passé qui s’effrite. Enfin Jay, lui-même père, pense à son fils et l’image qu’il doit apporter à ce dernier. Aidé par « l’innocence » de Tara, partagé par ses devoirs envers le club, son combat sera celui de la conciliation. Quitte à s’offrir en sacrifice pour parvenir à ses fins. On suit également Opie et ses difficultés à retrouver le chemin de la paternité. Portrait d’un homme meurtri, rongé par la mort de sa femme. Rebuté à l’idée de voir ses enfants, reflet de l’image de Donna. Démission parental. Autre forme de désaffection, le licenciement parental dont Chibbs est la victime. Condamné de voir sa femme et sa fille dans le cercle d’un vieil ennemi. Prise d’otage dans la forme, qui obligera le motard à la cicatrice à un (autre) sacrifice. De l’autre côté de la barrière, on pourrait citer Weston et ses deux fils. Perversion parentale à l’œuvre, graines de néo-nazis. Relation tout aussi trouble et ambigüe entre Zobell et sa fille. Instrumentalisation de l’amour filiale, sans pouvoir en jauger la profondeur. Enfin, reste les deux irlandais, trafiquant d’armes de père en fils, où la notion de famille possède encore toute sa valeur (et justifie le final de la saison dans une tournure surprenante et imprévisible). Autant de figures de pères, qui possèdent (pour la plupart) un point commun : l’absence de la mère. Et ce n’est pas un hasard si c’est Gemma qui réunira à nouveau les deux hommes de sa vie pour les diriger vers l’ennemi commun.

Cette seconde saison porte les qualités de la première à leur paroxysme et gomme ses défauts. Dans une ambiance toujours plus oppressante, à l’échelle macro comme micro. On retrouve et ressent les influences de The Shield dans la mise en place de l’intrigue, son évolution, sa résolution. Excellente faculté de déjouer les attentes, tout en ménageant un final opératique digne du suspense et de la pression maintenus tout au long de la saison. Il semblerait que FX ait trouvé l’héritier de son programme vedette. Ce n’est pas une surprise, le show a été vendu (et pensé ?) ainsi. Si au terme de la première saison, le doute sur la viabilité de l’affirmation planait, aujourd’hui, la série peut lever la tête et supporter la lourde référence.

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