Fiction vs Réalité

Fiction vs Réalité

Inrocks #655 (17 au 23 Juin 2008), Noami Klein, dans une interview à propos du libéralisme, fustige la série 24. Extrait :

« Je trouve complètement dingue que des séries fassent de la torture, de la sécurité ou de l’espionnage un divertissement de masse. Si cela avait été le cas en Russie communiste, on aurait jugé leur culture complètement malade. »

Utiliser la fiction pour pointer les déviances d’une culture (donc, la réalité) reste un exercice périlleux. Et avec une œuvre comme 24, cela relève du numéro d’équilibriste. Baromètre de l’ère W. Bush, prédiction Palmer/Obama, scandales de l’armée américaine puisant (ou supposée) l’inspiration des tortures dans la série et l’idéologie envahissante comme quoi la fin justifie toujours les moyens et la démocratie reste trop faible par nature quand il s’agit de combattre le terrorisme. La relation fiction/réalité n’a jamais été aussi fine, voire diffuse.

Cependant, il faut avoir une vision très réductrice et binaire pour voir dans la série une ode au totalitarisme sécuritaire ou une apologie de la torture. Si le premier existe, si sa nature reste discutable quand on connait les affinités politiques de son principal producteur, avec un peu de réflexion, on atteint un constat autrement plus nuancé. Quant au second, il n’existe aucune glorification de l’acte, il demeure moralement réprimé. Mais la série utilise ce procédé avec un peu trop d’aisance, de systématisme. On peut y voir une facilité scénaristique (liée au format de la série), et les scénaristes n’oublient (heureusement) pas d’appliquer quelques échecs ou abus. Le principal reproche que l’on pourrait effectuer, c’est de parvenir à semer le doute chez le spectateur. D’avoir cette position un peu duelle, un peu grise, qui tiendrait à lui faire dire une chose et son contraire avec autant de justifications.

Une autre donnée s’apprécie dans l’ensemble des saisons que constitue la série. Au lieu de prendre des évènements précis (une séquence de torture), répétés d’une saison à l’autre, regarder les saisons comme des segments distincts d’un grand tout (en évolution constante le temps que durera la série). Ou comment ce qui peut s’apparenter comme une apologie du tout sécuritaire, où l’espionnage et la loi grignotent les libertés individuelles des citoyens qu’il tente de défendre, devient la démonstration d’une stratégie vouée à l’échec. Comprendre on retrouve les mêmes maux d’une saison à l’autre, ce qui démontre bien l’incroyable vacuité d’un système.

On peut voir dans 24 (et sa surenchère), une version politico-réaliste du cartoon Bip-Bip & le Coyote. Inversion des rôles, le méchant Coyote devient le gentil Jack Bauer. Et l’affreux volatile, le terrorisme sous toute ses formes. L’ennemie de la démocratie. Et si l’oiseau semble capturé à la fin de chaque saison, sa réapparition la saison suivante donne ce côté cyclique qui caractérisait l’éternelle et vaine poursuite du célèbre cartoon. La surenchère dans les méthodes employées par Bauer répond aux procédés toujours plus farfelus, et qui avait souvent tendance à se retourner contre son instigateur (la torture pour Bauer et son procès de la saison 07, Renee Walker dans la saison 08).

24 capitalise sur sa répétition, sa surenchère, les déjà-vus qui ponctuent ses saisons pour mettre en lumière la défaite d’une politique intrusive et/ou expéditive. Quand une critique de la série devient un élément d’analyse (in)conscient. Dans 24, l’utilisation des codes des œuvres d’espionnage oblige le spectateur à affuter son regard, car chaque image possède plusieurs niveaux de lecture. Il faut lire derrière l’évidence, derrière le fait brut. Ne pas précipiter l’analyse, savoir compulser les données pour nuancer ses conclusions. La série possède un fond de lecture discutable, quand sa forme illustre un fait brut (la torture) et que son discours, par l’intermédiaire du héros lui-même, semble justifier l’action. 24 pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Doit-on utiliser les mêmes armes que les opposants de la démocratie (américaine) pour défendre cette dernière ? Quand la fin ne justifie-t-elle plus les moyens ? Des interrogations basiques et naturelles, qui ponctuent chaque saison (prend une place conséquente dans la septième), et fait de 24 autre chose qu’un simple divertissement.

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