Cet article inaugure une série de textes consacrés à ces shows tenus en vie artificielle. Sur le principe « ils auraient dû s’arrêter » ou du « syndrome X-Files » (la référence absolue), on pointera du doigt certaines séries continuant leur petite existence malgré une qualité en berne. Logique de production (« temps que l’audience est là »), pêché de gourmandise, on ne peut plus les arrêter. Et pour ouvrir le bal : Desperate Housewives.
Rapide flash-back : Première saison, Marc Cherry est un dieu. Parvenir à réécrire le soap pour le sortir de sa réputation moribonde, inviter le genre dans tous les foyers, au point de devenir un petit phénomène. Personne n’a honte d’en parler. Au contraire, regarder Desperate Housewives est hype. On alimente les conversations de machines à café, les sujets se créent sur les forums, chacun y va de sa petite théorie maison, de sa desperate préférée, Bree est un prénom/pseudo à la mode. Un succès mérité car le travail de Cherry démontre une intelligence dans sa réappropriation du soap. Il démonte les poncifs, dynamite les habitudes tout en respectant une charte, une conscience collective. Tous les ingrédients du soap sont présents à l’écran, mais déformés, torturés, détournés dans une attitude qui ne confond pas révérence et pitrerie cynique, mais les marie pour offrir une relecture moderne à la forme acceptable.
Aujourd’hui, exceptée une poignée d’irréductibles, on ne parle plus de Desperate Housewives. Retombé comme un soufflé, le show continue une existence pépère, où seule sa flamboyance passée parvient à maintenir ses audiences correctes (bon classement, mais les chiffres ont baissé). La série de Marc Cherry devient une (mauvaise) habitude. On continue de regarder parce que ses personnages existent toujours à l’écran. On les suit depuis plus de six ans, ils sont devenus une routine, des micros existences que l’on observe, plus parce qu’ils font partis du paysage que par réel envie. C’est tout l’art de la série tv que d’imposer cette forme de rituel entre l’œuvre et le spectateur. Où l’investissement important en temps (des centaines de minutes étalées sur plusieurs années) procure un rapport intime, comme une part de notre vie.
Objectivement, il n’existe plus aucune raison de regarder Desperate Housewives, si ce n’est, l’espoir illuminé d’une rémission (im)possible. Descendu dans trop bas, le soap moderne de Marc Cherry est devenu un banal soap dont la forme luxueuse évite une programmation en journée. Chaque saison devient pire que la précédente. Une belle régularité dans la déchéance. Et l’on voit se profiler, avec toujours plus de précision, le vrai visage du showrunner. Ses tendances réactionnaires, sa misogynie, une vision de clichés réducteurs. Deux épisodes de la sixième saison montrent ce penchant de plus en plus flagrant : 06×15 : Lovely (lire la critique) et le 06×20 : Epiphany qui retrace l’existence du (futur) serial killer de Wisteria Lane. Ce dernier est une ode à la cruauté féminine, capable par son infinie méchanceté, de créer un tueur en série. Rarement aura-t-on vu une série à la présence féminine aussi importante comporter autant de rôles négatifs. Etrange opposition du genre masculin dont les principaux personnages ont tous été castré (Orson – pauvre Kyle MacLachlan – Mike et Tom).
Prisonnier de son concept, Marc Cherry a préféré, à l’implosion salvatrice, laisser les choses inertes, quitte à se répéter ad nauseam. Le vilain voisin de la saison et son grand secret, au bout de six ans, cela commence à devenir ridiculement prévisible. Et de se rendre compte, que les petites vies de nos desperate ne fournissent plus la matière à une dramaturgie aussi succulente (répétition, sur-place, impossibilité de se renouveler). Wisteria Lane, comme une vision du purgatoire où chacun (personnages et spectateurs) est condamné à subir les mêmes tourments. On a bien vécu un sursaut lors de la cinquième saison et son flash-forward (merci à Lost pour la démocratisation de cet effet de style), mais au bout du sixième épisode, on avait récupéré la timeline et rien dans le passé immédiat ne vient fournir de matière pour occuper une saison entière.
Desperate Housewives est devenu un show malade. L’élève turbulent d’une classe (le soap), soumis en bon petit soldat, au travail bien accompli. En pratique, cela donne une série qui s’est (re)transformée en ce qu’elle attaquait/désarmait avec truculence. Un vulgaire soap. Coincé dans une logique hyperbolique (imposé par son renouvellement et le besoin de proposer une autre grande intrigue), on ne voit aucune rémission possible, aucune sortie de secours. Arrivée bien au-delà du terme de ses capacités, il serait grand temps de mettre fin aux souffrances et lui offrir une belle mort méritée. L’acharnement thérapeutique dont elle fait encore l’objet l’enfonce, saison après saison, dans un ridicule douloureux. Au point de se demander si l’on ne souviendra de Desperate Housewives comme ce show novateur qui a su donner des lettres de noblesse au soap ou comme ce soap un peu luxueux qui a eu le long et incroyable privilège d’une diffusion en prime time le dimanche soir.
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