Mad Men 03×11 : The Gypsy and the Hobo

Mad Men 03×11 : The Gypsy and the Hobo

On reconnait les grandes œuvres et les grands auteurs à leur capacité à négocier les points culminants de leur constitution. Quand toutes les pièces sur l’échiquier sont à leur place, la stratégie révélée, place à la confrontation. Souvent, la bataille comme sa résolution déçoivent. La pression trop élevée, l’exigence à son comble, entraînent une réaction déceptive. A ce titre, Matthew Weiner ne pouvait pas se tromper. Car on sait que Mad Men est une grande œuvre.

Sur un graphique, les scènes entre Don et Betty afficheraient un pic d’intensité remarquable. Par la seule force des mots et de l’interprétation des acteurs. La réalisation, sage et subtile, se contente de capter l’émotion avec sobriété. Construit en plusieurs actes, dans plusieurs pièces, on assiste à la chute d’un géant. Le colosse Don Draper face à ses propres mensonges, face à son histoire, face à ses démons, face à une Betty qui ne lâchera pas son mari, exigeant la vérité, avec toute la maîtrise d’elle-même qu’on lui connait. Si nous, spectateurs, étions déjà dans la confidence, se déroule sous nos yeux la réelle désacralisation du personnage. Dans un mouvement cyclique qui nous rappelle les premières séquences de la saison et ce flash-back sur la conception/naissance de Don/Dick. Car si les images ont déjà révélé le mystère, avec les mots sortant de la bouche de l’intéressé, il prend une tout autre dimension : la vérité s’inscrit dans la réalité narrative de la série. La confession de Don agit comme une conclusion (déjà amorcée par lors de la signature du contrat et le dialogue avec Cooper).

Cet échange réussit la prouesse de dépasser toutes nos attentes. Et nous permet d’accéder au cœur du personnage. Pour la première fois, peut-être, Don nous apparaît en toute simplicité, vulnérable. Sa main qui tremble alors qu’il tente de se servir un verre, les larmes qui viennent quand il mentionne le suicide de son frère. C’est un torrent de culpabilité qui renverse le publicitaire. Celle d’un mari qui a menti à sa femme. Celle d’un homme qui a abandonné son frère quand il avait besoins de lui. C’est Don redevenu enfant. Honteux. Pas d’avoir menti, mais de s’être fait prendre. Face à Betty, stricte matriarche, exigeant la vérité avec autorité. Aux enjeux énormes, les acteurs répondent avec talent. Leur jeu, intense, souligne le raz-de-marée. C’est la révolution du couple Draper.

Les scénaristes closent un chapitre important de leur série. Mais plus encore que la force de la révélation, c’est l’ouverture vers l’avenir qui se dresse face au spectateur. Des questions émergent, car plus rien ne sera vraiment comme avant. Don a perdu son aura, son assurance et une partie de sa fierté. En révélant ses origines et son vol d’identité, il s’est rabaissé devant Betty. Devenant cet être pathétique, honteux de sa naissance, alors qu’il incarnait une sorte de demi-dieu : un homme intouchable, quoique faillible (l’adultère dévoilé de la saison deux). Quelle sera la nature de leur relation ? La nature de leur couple ? Quand Betty poussée par son désir pour Henry, maintient encore la valeur de son mariage intacte. Et pour le spectateur, de se rendre compte que l’évènement tant attendu, n’est qu’une étape, car cette boite que Betty a ouvert, rappelle celle de Pandore.

Toutes ces séquences pourraient agir comme un trou noir, avalant les intrigues secondaires au point de les rendre accessoires. Mais Weiner rappelle ses qualités de dramaturge quand il exploite en parallèle, deux autres histoires de couple, à l’intérêt certes moindre, mais dont les apparitions offrent un contre point intéressant et l’aération nécessaire à la digestion de toutes ces informations. Et bien qu’elles servent de ponctuation, leur importance (à l’échelle des personnages impliqués) demeure. Chacune des storylines est construite en deux temps. Mouvement rythmique classique adopté au format action/réaction. Celle consacrée à Roger nous renseigne sur son passé, son ancien amour comme celui actuel, où la frivolité de son récent mariage s’avère infondée. Le personnage s’humanise au contact de cette « vieille connaissance ». Perd de ses réparties fines et incisives et dévoile ses sentiments (actuels comme passés). Pour Joan le cauchemar continue et ses rêves de mondanité semblent s’éloigner à jamais. La jeune femme incarne toujours cette force impressionnante, quand bien même le destin (et son mari) s’acharne sur elle. Un tournant que l’on n’imagine pas se terminer sur un « happy end ».

L’épisode se conclut sur la soirée d’Halloween. Cruel hasard, quand tous les enfants enfilent des déguisements, Don perd le sien. Les auteurs poussent la symbolique jusqu’à faire porter à son fil, un costume de vagabond. Comme une réincarnation de Dick.  Ils balisent ainsi le nouveau quotidien de Don de motifs fantomatiques, vestige d’un passé qu’il pensait enterré.  Mad Men négocie un de ses moments fondamentaux avec le talent qu’on lui connait. Et que l’on découvre encore, se jouant des difficultés, des pièges avec une facilité déconcertante. Preuve, s’il fallait le répéter, combien la série s’est inscrite parmi les grandes œuvres.

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