Aux orphelins de Battlestar Galactica, le remake (BSG), Caprica propose une extension. Prequel, principe à la mode, artificiel (et mercantile) pour perdurer (ou développer) un univers connu. L’idée de Caprica possède quelques arguments séduisants. Naissance de mythologies, avènement de l’ère robotique, exploration d’un univers que l’on n’a connu qu’en cendre ou en fantasme d’une époque révolue.
Caprica décide d’explorer les thématiques déployées dans BSG en les inscrivant dans un nouveau contexte. Sorte d’expérience parallèle pour mesurer les différences, les variantes, l’importance que révèlent l’environnement sur des résultats déjà éprouvés. On retrouve ainsi les théories autour de l’identité (robotique ou dans un monde virtuel), la religion (monothéisme contre polythéisme), l’éthique (scientifique, industrielle), la culpabilité, les traumatismes. Seule la politique (un des thèmes dominants de BSG) est laissée de côté pour un registre lié au monde de l’entreprise. Caprica se dote d’une position très théorique et cherche autant à capitaliser sur le succès de BSG que s’affranchir d’un héritage trop lourd (et par extension, d’attentes létales).
Comme sa grande sœur, mais dans une moindre mesure, la série débute par un évènement traumatique : l’explosion d’un train à une heure de pointe, attentat revendiqué par des fanatiques religieux qui prônent le monothéisme (Soldier of the One). En parallèle, Daniel Greystone tente de développer des robots à l’intelligence artificielle pour l’armée. Deux intrigues qui vont se lier et sonner le point de départ de la mythologie BSG.
Dans son aptitude à fournir des sujets de philosophie ou alimenter les débats, Caprica possède une rhétorique irréprochable. Mais cette position sacrifie trop souvent la dramaturgie. Effet ressenti dans les premiers épisodes, où les storylines rebondissent les unes sur les autres de façon aléatoire. Quand les scénaristes donnent l’impression de naviguer à vue. Conséquences : Ancrage émotionnel quasi nul, évolution saccadée des personnages et enjeux obscurs. On reste d’autant plus frustré de subir des erreurs de rookies, comme la progression dramatique demeure impeccable. On pourrait accuser une précipitation confuse dans le dernier épisode, mais au jeu du constat, l’achèvement de cette première partie, s’avère positive et satisfaisante à plus d’un titre. A l’inverse du proverbe, la destination importe plus que le voyage.
On assiste donc aux prémisses de l’intelligence artificielle telle que décrite dans BSG. La carte principale dans ce jeu est Zoe Greystone. Fille de, elle fit partie des victimes de l’attentat. Génie informatique, elle est parvenue à créer un avatar, double numérique conçue grâce aux données informatiques récoltées sur le web. A l’heure des débats sur les notions de vie privée et de droit à l’oubli sur internet, la série mise sur les dangers encourus. C’est ce même avatar qui sera introduit dans le premier toaster et sonne le coup d’envoi du fantôme dans la machine. Pour exprimer la dualité Cylon/adolescente, les réalisateurs vont utiliser la vieille technique de la double représentation. En fonction des points de vue et/ou de l’exigence de la scène, on verra Zoe ou le Cylon. Façon d’envisager le futur et rappeler aux fans les apparitions hallucinatoires de Caprica Six.
La perspective de réduire l’avènement des machines à une adolescente rebelle avait quelque chose de décevant. Un point de départ facile et contrariant. Les scénaristes ne se limitent heureusement pas à cet unique postulat, mais l’enrichie d’intrigues annexes. Notamment sur l’interaction humain/machine, quand le show décide d’approfondir le monde virtuel. Autre création des industries Greystone, le V-World, est une sorte de Second Life puissance dix. Où l’on plonge littéralement à l’aide de casque dans un monde virtuel. Aux habitués du genre cyberpunk, la pratique sera (re)connue, encore plus lorsque l’on apprendra le hacking et la création d’un univers parallèle soumis à aucune loi. La création qui échappe à son créateur (une première fois). C’est dans cet espace alternatif, qui ressemble à la Matrice de Matrix, qu’évolue Tamara Adama.
Ces deux arcs narratifs donnent les indices sur le futur de BSG, mais brouillent suffisamment les pistes pour que l’on peine à distinguer quels seront les rôles des deux adolescentes. On pouvait penser la lignée née de l’interaction Zoe/Cylon comme source, mais la création d’un avatar autonome propose une évolution parallèle, sans que l’on devine très bien quelle place Tamara va obtenir dans l’équation. Cet horizon obscur qui ménage le suspense joue parfois contre la série. Les enjeux se défilent, les motivations des personnages intangibles, on est bercé, non pas dans un récit cryptique, mais dans une position inconfortable, frustrante, où la dissimulation d’informations ne joue pas pour la série. Alors que l’on reconnait l’intelligence du propos quand il s’agit de confronter ce qui fait notre identité, notre qualité d’être humain (symbolisée par Zoe et Tamara), le manque de rigueur narrative, la construction hésitante, les ellipses maladroites nuisent à l’accueil de la série.
On sent qu’il manque un vrai chef d’orchestre à cette aventure. BSG avait Ronald D. Moore, même si sa conception créatrice tendait vers une construction par assemblage, ce qui se mariait très bien avec un contexte forcé de vivre au jour le jour. Dans Caprica, le traitement est opposé. La série joue dans un cadre serré : temporalité soumise, futur dévoilé, destin tracé. Dans un contexte aussi strict, il n’existe pas de place à l’approximation. Or, la série a trop souvent, dans ces neuf épisodes, jonglé de façon maladroite. Caprica ne trahit jamais l’héritage laissé par le monument de Moore. Elle s’accorde à la mythologie créée, l’accompagne, la complète, lui donne naissance avec respect et prudence. Mais elle oublie de se munir d’une vraie identité, d’un rythme. On a l’impression de regarder un show paralysé par les enjeux.
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Je te trouverais presque plus positif que moi sur ces 9 épisodes (et pourtant, j’estime avoir relativement aimé). Le traitement est aussi largement parasité par des effets de style qui vont bien au-delà de la représentation double Zoe/U87. Il y a notamment avec cette monomaniaquerie pour le V-world, la réalisation passe son temps à en jouer souvent de façon très vaine (le club, puis le monde brutal, puis New Cap City, et puis sans compter les zoulis paysages pour les amoureux, nan mais c’est bon quoi, on va pas écumer tous les lieux imaginaires du V-world !), sans compter le côté cafète de sitcom AB que représente ce lieu dans beaucoup d’épisodes, notamment dans les conversations Zoe/Lacy. C’est proprement insupportable, à en regretter que la série ait les moyens financiers de le faire.
Mais je sais pas si c’est un problème de « chef d’orchestre ». Que ce soit un homme ou une équipe, le problème est le même : Caprica a bâti sa première partie de siason autour d’une exposition de l’univers, et passe son temps à faire du descriptif jusqu’à l’écœurement. On sent que, quelle que soit la personne (ou les personnes) derrière le scénario, le problème c’est de passer autant de temps à détailler le monde dans lequel la série se situe, et d’ouvrir sans cesse de nouvelles portes descriptives sur comment se passent les choses dans ce monde, ainsi que dans le monde virtuel. Moi, ça me fatigue.
Une fois qu’on avait les Soldiers of the One, c’était par exemple pas la peine d’introduire aussi vite une faction « ennemie » du même groupuscule, surtout que du coup, le premier groupe mené par la bonne sœur finit par n’avoir plus rien avoir à faire du tout (qu’est-il advenu des données volées chez les Graystone ? J’ai l’impression qu’on ne le saura jamais), idem pour la société de papa Graystone, d’abord on sent des tensions à l’intérieur du conseil d’administration, et puis plutôt que d’approfondir ça, pouf on rajoute un concurrent… ça n’en finit pas.
Qu’il y ait une ou plusieurs personnes derrière Caprica, le problème, c’est que ces même personnes soient absolument captivées par l’aspect construction de l’univers, et pas par les intrigues elles-mêmes, ou même juste par les personnages ; partant apparemment du principe qu’on aura largement le temps de faire avancer tout ça plus tard. Eh bah devinez quoi, je suis pas sûre qu’il reste tant de temps que ça pour faire avancer tout ça plus tard.
Nan mais à part ça euh, j’ai plutôt aimé hein… ^_^;
C’est justement dans ces errances, ces storylines qui se perdent dans la nature (?) que l’on ressent qu’il manque quelqu’un à la barre. Dans ces neuf premiers épisodes, on a tout du symptôme de l’œuvre collective. Chacun développe son petit thème, son petit bout de Caprica ou ses personnages, mais jamais on ne travaille le plan d’ensemble. Du coup, comme tu le dis, c’est hyper descriptif et quasi jamais intense. C’est passionnant parce que l’univers décrit reste fascinant, mais jamais le récit s’emballe.
Heureusement, les thèmes ou descriptions ne sont jamais creux, et c’est ce que je retiendrai (et qui pencherait ma critique vers l’optimisme malgré les défauts). Une fiction qui a des choses intéressantes à dire, mais trop peu d’évènements traités sur la longueur à raconter.