« C’est une histoire connue. Le pauvre écailleur, fils d’une bonne (mais pas riche) famille, qui tombe amoureux de la belle héritière d’une famille riche et puissante. Les barrières sociales qui s’effondrent grâce à l’amour. Alors pour commémorer et célébrer cet amour qui rassemble le peuple d’en haut et celui d’en bas, quel autre endroit que celui qui a vu naître cette histoire : Harper’s Island. Et tant pis si ce bout de terre au large de Seattle fut autrefois le théâtre d’un bain de sang, dans lequel la mère de la meilleur amie du marié, trouva la mort. Au programme, festivité en tout genre, mariage à l’église locale et de mystérieux meurtres qui commencent… »
Genre typiquement cinématographique, le slasher s’invite à la télévision pour un concept fermé sur lui-même (une saison, 546 minutes, une histoire), mais pouvant donner naissance à une longue descendance en cas de succès. CBS pense tenir un hit (le genre s’est un peu éteint, mais possède une fan base solide), organise une campagne commerciale conséquente (promo insistant sur « le(s) mort(s) de la semaine », webisodes complémentaires…). Finalement, la série sera un flop (malgré CSI en lead in), exilée en bouche trou de grille (le samedi) après trois épisodes et achevée dans une indifférence (quasi) générale.
Faut-il voir dans cet échec (commercial) une greffe qui n’a pas pris ? Avant que CBS ne mette les petits plats dans les grands, la chaîne avait émis quelques doutes sur la viabilité du sujet. Comprendre que l’horreur (ou le slasher) ne trouve pas grâce dans la petite lucarne (Fear Itself de triste mémoire, Masters of Horror décevant) et fait fuir la gente féminine (logique caricaturale de publicitaire). Enfin si le cinéma (et les séries ?) est devenu un art poreux (convergence d’influences multimédia), les publics ne se mélangent pas complètement. La bonne idée initiale restait un projet à risque, qui misait tout sur son départ (et CBS a joué le jeu en la plaçant derrière le monstre commercial CSI), car faute de fidéliser le client sur ses deux ou trois premiers épisodes, la série n’aurait pas d’avenir (ce qui s’est confirmé).
Vouloir étirer le slasher/survival sur une longue durée, découpée en épisode, c’est s’exposer à un problème majeur : faire en sorte que la phase d’exposition (où il ne se passe jamais rien) suscite l’engouement. Présentation du contexte, des personnages dans lequel on implante l’embryon de mystère qui, une fois grand, décimera tout le monde. Dans cette période introductive, les slashers au cinéma se contentent de stéréotypes, faute de temps et de place dans le récit. Mais pour une série (même réduit à 13 épisodes), il faut composer avec des schémas plus complexes, car le public va passer quelques heures en leur compagnie. Et si jouer avec les archétypes donnent souvent un résultat, dans le cadre d’un show où il ne va rien se passer pendant les trois premiers épisodes, ce n’est pas la meilleure façon d’aborder le problème. Le résultat est sans appel : des audiences ridicules et une relégation dans les fins fonds des programmes de la chaîne (le samedi, personne ne regarde la télévision).
Harper’s Island mérite-t-telle cette sanction disciplinaire ? Non et oui (dans cet ordre).
Non, car en avançant dans le récit, la série a su montrer de belles qualités, notamment dans sa gestion du suspense, la mise en scène de ses morts et son caractère (à première vue) imprévisible. Et reprend les tics de la version cinéma du genre : on finit par s’attacher aux personnages, et même leurs petites intrigues personnelles souvent ridicules et sans intérêts trouvent grâce l’espace donné. Si les auteurs ne profitent pas de cette longueur exceptionnelle pour expérimenter le genre, ils respectent le cahier des charges et livrent un spectacle honnête (mais prévisible).
Oui, car ils s’avèrent incapables de gérer la pression du suspense et la révélation s’avère très en deçà des attentes. A partir du moment où une menace est reconnue, que quelqu’un attrempe à leur intégrité physique, on retombe dans les travers du slasher/survival de base, avec ses situations prévisibles et des réactions de personnages qui frisent la bêtise (et méritent la mort, bien fait pour eux). Les incohérences pointent leur nez (les habitants de l’île disparus ( ?!?), l’enquête ridicule du FBI ( ?!?)), les motivations ressemblent à un simple caprice et si quelques scènes produisent leur petit effet, on se retrouve avec un slasher basique et bas du front qui ne nécessitait pas 546 minutes de développement.
Paradoxe sadique, l’échec commercial n’est pas raccord avec celui artistique. Où le public a déserté trop vite. Frustrant pour la chaîne (comme le créateur), car dans la seconde hypothèse (échec artistique), les audiences auraient certainement tenu jusqu’à la fin de saison (pour des réactions critiques très froides, mais la logique commerciale ne prend en compte que les chiffres). Pour le public (celui qui a vu jusqu’à la fin), Harper’s Island s’avère une bonne idée non concrétisée, faute d’un traitement bien trop sage et conforme aux canons du genre pour convaincre. Essai non transformé pour ce qui aurait pu être le coup d’envoi d’une longue série (autres histoires, autre cast), en l’état, Harper’s Island restera un programme sympathique qui, malgré des défauts rédhibitoires, aura su provoquer quelques sursauts et ménager quelques beaux moments.
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