La quatrième saison de Prison Break offre un magnifique terrain d’analyses diverses mais convergeant en un seul point : son résultat catastrophique.
Son titre augurait un programme éphémère. L’évasion d’une prison. Formidable outil narratif et usine à moments paroxystiques. Genre cinématographique par excellence (La Grande Evasion), elle tentait de s’inscrire dans l’engouement post-24 en étirant le déroulement du temps. Sans toutefois atteindre le temps réel, phénomène casse-gueule incompatible avec une évasion. Victime une première fois de son succès, voilà les scénaristes obligés de pousser l’exercice une dizaine d’épisodes supplémentaires. On y perd l’urgence matricielle et un volte face poussif, ce qu’on gagne en habile manipulation scénaristique qui consiste à tout reprendre depuis le début ou presque. Reload intramuros intéressant, et les scénaristes s’en sortent plutôt bien.
Mais la vie de scénaristes est parfois un éternel recommencement. Le projet se poursuit, malgré l’évasion du titre accomplie. On assiste à une des meilleures idées du moment : poursuivre l’aventure post évasion. On entre dans un événement intéressant : refonte totale de l’idée du show, mais dans la parfaite continuité. Comme raconter l’épilogue d’une histoire bouclée. Le fantasme du fan assouvi, qui voit se réaliser le vœu de pouvoir enfin savoir ce qui se passe après.
La suite est une longue descente aux enfers. Un calvaire insurmontable. Pris dans une spirale sans fin, l’intrigue s’embourbe dans l’imbroglio conspirateur. Scofield contre le reste du monde. David contre Goliath. Tout comme X Files en son temps, pris en otage d’un dispositif pourtant auto-implanté, Prison Break devient un immense brouillon narratif. Un puits sans fond, fait de rebondissements factices comme autant de circonvolutions vaines. Les bras qui s’agitent d’un nageur en train de se noyer. On assiste impuissant et dépité au naufrage d’un concept fulgurant. Pris dans les mailles d’un filet, échoué sur l’autel du consumérisme. Celle qui fut consacrée par la presse et le public, rejoint les limbes de ces séries à combustion spontanée vouées à devenir un vulgaire feu de paille.
Lorsque la quatrième saison débute, on sent comme une volonté de la part des auteurs d’oblitérer la précédente. De sinistre mémoire, elle s’imposait autant comme un retour aux sources qu’une temporisation devant l’incapacité à aller de l’avant. Alors cette saison 04, remake de la saison 02, comme la 03 était celle de la première ? Traitement cyclique comme preuve d’un concept qui tourne en rond. Tout (re)commence donc, par un résumé en voix off. On affiche la décision de repartir de zéro, en usant du passé comme création du présent. Trois années réduites en quelques lignes. Avec en conclusion l’ironique sentence : « tout finit aujourd’hui » (aveu soulagé des auteurs ?).
Ce 04×01 donne dans la symbolique lourde : Sona réduit en cendre, assassinat provisoire (concept maison, que l’on retrouvera souvent) et permanent (Gretchen, Wisthler), résurrection de Sarah. Ces trois éléments qui constituaient les principaux axes narratifs de l’année passée sont réduits à néants. Rarement une série aura abdiqué devant l’échec au point de le faire disparaître. Comme si la saison était traitée comme une simple ellipse que l’on exploiterait de temps à autre pour combler un vide. Mais la série va plus loin dans l’abnégation et la métamorphose : l’éradication du tatouage de M. Scofield. Ce motif qui avait fait de la série son principal gimmick est effacé. Puisqu’il n’apporte plus aucun prétexte narratif, les auteurs préfèrent l’annihiler. On se poser sur de nouvelles bases. Principe valable, mais qui pousse le show au reniement et finit par diluer son identité remarquable. D’un titre qui ne signifie plus rien, ou alors faut-il chercher quelques sens métaphoriques sur la nature d’une liberté théorique dans un univers contrôlé par des multinationales surpuissantes (réflexion guère convaincante).
En enlevant le tatouage de Scofield, les scénaristes ont, semble-t-il, voulu affirmer que son personnage principal n’était pas (ou plus) le mec intelligent qui fait sortir son frère de prison. Alors que sa fonction était gravée jusque dans sa chair, on voudrait nous faire croire à une forme de réincarnation. Bien que l’idée en soit se défend, les auteurs, en renonçant à leurs origines, enlèvent un stigmate du show. Et par extension, amoindrissent le pouvoir d’évocation de son personnage principal : le martyre. Forcés de trouver un palliatif comme un lapin sorti du chapeau d’un magicien, ils inventent une tare génétique familiale (maternelle) attaquant le cerveau (double sens). Création d’une épée de Damoclès par un deus ex machina = signe de désespoir scénaristique. Et gagne au passage du suspense (inutile) et effet lacrymal de pacotille.
Par le dispositif mis en place, les auteurs nous lancent un nouveau message : par l’intermédiaire d’un agent de la sécurité intérieure, le groupe d’évadés ont le choix entre participer à un vaste projet d’abattre la Compagnie ou retourner en prison. Par déduction, soit la série n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était, soit on se retrouve avec une saison trois bis, et un fumeux projet d’évasion. Une forme d’alibi qui excuserait toutes exagérations scénaristiques. De la série d’évasion, on passe au récit d’espionnage. Alors qu’Alias, Burn Notice ou Chuck ont fourni une relecture respectueuse pop et ludique, Prison Break invoque les fantômes de Mission Impossible. Avec sa structure centrée sur un homme-cerveau en mode commandé (Scofield/Phelps) et une poignée d’agents complémentaires à la fonction définie. Au-delà de l’aspect improbable de la situation, se trouve alors une nouvelle dynamique. Acte salvateur en puissance qui devrait sortir la série de son marasme.
Pour gonfler artificiellement son intrigue depuis la première saison, en plus des projets d’évasions et de chasse à l’homme, les auteurs ont mis en place une sombre conspiration. L’emploie d’un tel arc narratif est toujours sujet à précaution. Car elle peut rapidement devenir incontrôlable. Au fil des années, elle a pris une place plus importante et une forme de moins en moins indentifiable. Cas d’école, où la création échappe à son créateur. A force de verser dans la surenchère, il vient un moment où l’on perd toute crédibilité. Dans une œuvre comme Prison Break pour qui le souci de probabilité était déjà mince, cela se paye par une intrigue impensable, où l’on ne s’intéresse plus à ce peut se passer et ce qui pourrait arriver au moindre personnage. On détruit toute notion d’empathie et tout ressort dramatique. Les révélations, les rebondissements, les cliffhangers deviennent inoffensifs.
Cette quatrième saison sonne donc comme la tentative de résoudre une partie des problèmes soulevés. Seulement les auteurs prennent le problème par le mauvais bout. Plutôt que de calmer le jeu et poser les enjeux de ce nouveau concept, ils précipitent et jettent de l’huile sur le feu. Tentative de retrouver l’aspect urgentiste des débuts, mais avec un contexte qui aurait mérité davantage de retenue. Passée les séquences où l’on résume en une poignée de seconde ce que personne n’était parvenu à faire en trois saisons (à savoir arrêter tout le monde – ou presque, et les réunir sous le même toit), on nous inflige cette intrigue express. Les scénaristes veulent se faire pardonner du sur place de la troisième saison, mais confondent vitesse et précipitation. Prison Break fut dans ses deux premières saisons une course contre la montre, contre le temps. Parce que l’existence même du contexte imposait ce caractère. Mais quand il n’existe plus aucune raison native, cette distinction ne sert plus à rien et vient même contredire son emploie.
Prison Break investit dans la culture de la surenchère. Principe qui traduit une nouvelle fois un aveu d’échec. Où il s’agit toujours d’aller plus haut, plus loin, plus fort (trinité des suites et remakes) sans regarder en arrière. Des œillères sur les yeux, on avance droit devant en tentant vaille que vaille d’éviter les obstacles. Seulement à oublier le passé, on finit par se renier. Et pervertir des éléments mis en place plus tôt, sans le moindre remord. Série capitaliste qui a toujours misé sur le profit direct que la réussite artistique. Ce penchant mercantile se trouve illustré par le retournement de situation au 04×12 et la résurrection maternelle au 04×16.
Voici deux exemples parfaits d’ingérence narrative, de facilité artistique et de reniement. Manque de confiance pour oser jouer la carte de l’agent double. Comme si la série était incapable de produire des figures neutres et stables, et devaient jouer au poker menteur. Et certaines pilules sont plus difficiles à avaler que d’autres. Dans un genre similaire, le retour de la mère Scofield, est une merveille dans son genre. Un acte opportuniste, que l’on tire quand toutes les cartouches ont été grillées. Ces deux éléments perturbateurs participent à ce grand portrait d’ensemble, l’histoire d’une chute annoncée. Ils caractérisent, synthétisent les errances scénaristiques depuis la seconde partie de la saison 02. On est entré dans l’ère du « toutes les apparences sont trompeuses » et « personne ne meurt vraiment ». C’est-à-dire que toutes les informations données peuvent s’avérer fausses, sans exception. Et décline le fantasme du scénariste : tout est contrôlé depuis le début, il n’y a pas de coïncidence. La malédiction qui s’abat sur les deux frères est en réalité une histoire familiale.
Histoire d’une famille recomposée. Dans ses derniers épisodes, à bout de souffle avec ses schémas de balanciers perpétuels, naissent des révélations toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Des idées improbables comme le nuage de la saison 03 (grand moment de télévision). A croire que les scénaristes ont suivi les élections présidentielles françaises, ils nous rejouent le mythe de l’inné et l’acquis version famille Burrows/Scofield. Où l’on explique l’intelligence du petit et la bêtise du gros par le fait que Lincoln est en réalité adopté. Michael en héritier de l’intelligence maternelle (et de ses carences génétiques), face au gros bras Lincoln, bête bas du front, monsieur muscle sans cervelle. Si surréaliste que l’on se demande pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt.
La fin de saison ressemblera à la quinzième d’Urgence. Où l’on tentera de faire revenir tout le cast original pour le grand (faux) final. Mais sans travail en amont. En invité surprise et nouveau deus ex machina pour apposer le terme de la série. Si la présence de Sucre trouve une certaine justification, on a plus de mal devant l’apparition surprise de C-Note (disparu de la série depuis la saison 02) et la résurrection de Kellerman. Et il faut avoir l’esprit tordu pour donner à ce personnage (grand méchant des saisons 01 et 02) les clés de la résolution de la cavale des évadés. Affirmation d’une absence de logique, d’un showrunning absent et affront supplémentaire lancé aux quelques spectateurs survivants.
Car la série s’est achevée dans une indifférence générale, dans une case horaire maudite (le vendredi soir). Une destinée à la Icare, trop vite, trop près du soleil (et sans nuage). Une trajectoire comme un autre grand et éphémère succès : Heroes. Les deux programmes ont connu cette même gloire instantanée, ce buzz immédiat sur le net et dans les média traditionnels. Les chaînes françaises (M6 pour Prison Break et TF1 pour Heroes) ont poussé le vice jusqu’à réaliser des versions françaises des génériques (pour un résultat catastrophique dans les deux cas). Mais Prison Break a sombré dans l’anonymat. Même M6 n’y croit guère et lance ainsi la dernière saison sans autre forme de promotion. Une sanction justifiée par tant d’errances scénaristiques, des retournements de situation énormes qui ont finit par lasser le spectateur, à force de lui demander de l’indulgence. L’appât du gain à pousser au vice. Et au lieu de prétendre à une retraite anticipée (et justifiée), a vu perdurer un concept qui n’avait plus rien à dire. Essoufflé par une surenchère perpétuelle, par des ficelles toujours plus grosses. Et de remarquer que ces dernières lignes pourraient très bien s’appliquer à une autre grande série au bord de l’implosion (si ce n’est pas déjà le cas) : 24.
Prison Break prendra réellement fin avec le téléfilm de clôture Final Break, que Lucarne chroniquera dans un futur article.
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