Chaque rentrée, une série créé le buzz avant même d’avoir montrée une seule image. Cette année n’échappe pas à la coutume. Sur le papier, les faits sont là. Fringe : JJ Abrams aux commandes d’un show qui se veut le digne héritier de X Files. Toute la presse savoure, tous les fans salivent. Retour du récit de conspirations dans une ère post 11 septembre. L’industrie remplace la politique – mais les deux sont liées – et prend la forme d’une compagnie protéiforme omnipotente. La personnification du pouvoir à l’heure de la mondialisation. Avec l’éternelle question d’éthique sur les progrès scientifiques et la place de l’homme face à dieu.
Abrams aime les intrigues en toile d’araignée. Partir d’un élément central distinctif et broder autour de nombreuses et obscures circonvolutions aux lisières de la métaphysique. Fringe est censé bousculer nos croyances. Derrière ce terme, s’exprime tout ce que l’on considère comme de la para science, où la tentative d’explications rationnelles de faits pseudo science-fictifs. Si l’aspect didactique est important, on reste dans une structure proche de Lost. Parce que l’auteur parvient ainsi à s’ouvrir de vastes possibilités, où presque tout est permis, pourvu qu’un jargon vulgarisateur scientifique intervienne.
Dans ce tableau, Abrams rencontre deux problèmes potentiels : Nous rendre des concepts paranormaux, scientifiquement plausibles et audibles ; que cette conspiration laborantine à l’échelle mondiale tienne la route. Autant dire que le pari n’était pas gagné d’avance.
Pour éviter tout suspense : aucun des deux points sensibles exposés au dessus n’est réussi. Abrams s’empêtre rapidement dans un schéma routinier. Exaspération du répétitif. Et par la profusion de cas éparses, d’une vue d’ensemble approximative qui semble s’écrire au fur et à mesure. Fringe accumule les erreurs de parcours. Evanescence d’une conspiration, où les phénomènes aléatoires assombrissent le tableau plutôt qu’il le complète. Seuls les trois ou quatre derniers épisodes de cette mi-saison affichent des prétentions telles, que l’on peut deviner un vrai projet. Indices disséminés, traitement sur la longueur, la série se donne enfin de la consistance. Mais il a fallu passer par des intrigues improbables, où la notion de para science résulte davantage de la science-fiction ou l’anticipation. A l’image de la compagnie Massiv Dynamic, où tout semble possible, sans que l’on ne parvienne à y croire.
La question est de savoir s’il y a eu un problème de communication autour de la série, ou de compréhension de notre part. Alors que l’on s’attendait à un traitement proche d’X Files, qui parvenait à rendre plausible les théories les plus extravagantes, Fringe affiche des prétentions bien plus fantasques. Communication à travers un coma, voyage dans le temps, mémoires et souvenirs partagés… Autant de thèmes issus de la science-fiction ou du fantastique pur et dur. Et ce n’est pas les quelques explications scientifiques qui viendront nous convaincre du contraire. On se retrouve pris entre deux feux : la volonté de croire en un univers réaliste et la compréhension de ses phénomènes inexpliqués ou bien celle de l’anticipation d’un monde où tout est enfin possible. Fringe souffre de cet entre deux dans les premiers épisodes. Et c’est encore dans les trois derniers épisodes, qu’elle assume enfin son statut.
La progression de la série demeure énigmatique. Dès le (mauvais) départ, elle perd pied. Démonstration de ce qu’il ne faut pas faire. S’éparpiller par le biais du procedural et présenter des personnages qui ne comblent pas les lacunes d’une intrigue en roue libre. Dans un agencement fragilisé par l’incapacité des auteurs à produire du ciment, tout reposait sur les personnages, seul point d’encrage dans ce monde auquel on a encore du mal à croire. A l’image du professeur Bishop, qui sort la série de sa médiocrité, mais l’étouffe dans un même mouvement. La fantaisie de son caractère apporte un contrepoids au traitement souvent froid et désincarné. Si l’on apprécie ses facéties, le contraste est brusque. Devant la transparence de l’agent Dunham ou le j’m’en foutisme de Peter, la singulière et théâtrale prestation du savant-fou explose les limites du cadre. Dans cet univers contenu, l’effet serait presque destructeur. Et la déflagration de ne pas se contenter aux autres personnages, mais à la nature du show et son traitement. Comment prendre au sérieux que l’avenir scientifique du monde se joue peut-être dans les sous-sols de Harvard, laboratoire de fortune bricolé avec des bouts de ficelles ? Dans une grosse production télévisuelle, vanter les vertus de l’artisan face aux industrielles ferait presque sourire. Où comment un seul scientifique parvient à rivaliser avec la compagnie à la pointe de toutes les technologies. Muni d’un caisson métallique, deux électrodes et un oscilloscope, réussir mieux que les énormes structures de Massiv Dynamic. Le génie ne s’embarrasse pas des moyens ? Seule la théorie et la méthode importent. L’outil ne fait le savant.
Au terme d’une moitié de saison, la nouvelle création de JJ Abrams doit non seulement toujours faire ses preuves, mais aussi redresser un niveau médiocre par son départ calamiteux. Mission rude en perspective. Le show, en progressant sur 22 épisodes, utilise déjà son sursit. Les moyens mis en œuvre et le nom d’Abrams ont permis ce sursaut salvateur. Combien de temps l’illusion tiendra-t-elle ?
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