L’adolescent torturé, Skins en a fait son fond de commerce. Sans complaisance voyeuriste, sans jugement moralisateur, sans même traitement alarmiste, la série propose une vision de la jeunesse anglaise en mal de vivre dans un environnement qui les a laissé tombé. Cet épisode porte le nom de Freddie, mais c’est Effy qui jouera le chef d’orchestre. Une plongée dans la psyché malade de la jeune fille, qui nous rappelle les sombres (et grandes) heures d’une autre adolescente torturée, Cassie.
Jusqu’à présent, le couple Freddie/Effy s’était fait discret. De brèves apparitions (tardives pour la jeune fille), sans réel consistance. L’épisode n’apporte pas de réponses concrètes à ce choix, mais son traitement général nous renseigne jusqu’à laisser se dessiner une vague impression. Cette inconsistance (voire cette absence) se traduit par l’effet d’une présence fantomatique. Le couple hantait les précédents épisodes. Cette désincarnation ne possède pas de propriété morbide (bien au contraire), mais tentait de prolonger l’état d’esprit des amoureux. A savoir, la vie de leur amour, capable de les soustraire au monde, de créer leur propre environnement. Le début de l’épisode confirme cette impression, mais la tempère. Aux propriétés euphorisant de l’amour, les auteurs ajoutent ceux chimiques des drogues, dures comme douces. Suit, un développement un peu chaotique, sensé traduire l’effet narcotique. Sans verser dans le délire psychique, la brusque succession de ces séquences, montage serré, aurait tendance à extraire le spectateur du processus. Et il faudra attendre un réveil (dans tous les sens du terme) de Freddie pour que l’épisode débute son travail.
On indiquait qu’Effy jouait les chefs d’orchestre, car malgré l’attention portée au personnage de Freddie, c’est elle qui va plonger l’épisode dans une torpeur psychotique, capable de réveiller de vieux démons tout comme de révéler la détresse psychologique de l’adolescente. On savait la sœur de Tony autodestructrice, sans connaître les origines de cette attitude (même si des doutes subsistaient). Aujourd’hui, le mal est connu et s’étale sur les murs de la chambre maternelle. L’occasion d’explorer le passé de Freddie, et notamment l’exploitation d’une plaie non cicatrisée : le suicide de sa mère. L’épisode va jouer sur des lignes parallèles, d’une tragédie passée, d’une autre qui prend forme. Un adolescent en quête de réponses, devant affronter le laxisme d’adultes mutiques (sauf son grand-père). La série pose une nouvelle fois des versions très caricaturées de l’adulte (le conseiller disciplinaire), qui nuisent à l’épisode. Un écueil récurrent pourtant aisément surmontable.
L’épisode joue sur des notes sombres. Et plonge Freddie dans un océan trop grand, trop profond, dans lequel il perdra pied. Une nouvelle fois, les auteurs imposent l’isolement à l’un de leurs personnages. L’indépendance idyllique des débuts, soulignée par l’existence d’un amour béat, prend des allures de cauchemars éveillés, où la solitude devient involontaire et problématique. De façon surprenante, l’épisode va alors être visité par deux personnages plus « indépendants ». Si dans cette saison jusqu’à présent, la notion de groupe avait complètement explosé au profit de l’individualité (ou du couple), dans cette cinquième livraison, on retrouve les fondements du collectif, quand chaque sujet est là pour l’autre. Ici, c’est Cook et Katie, tendant leurs mains, oubliant leur rancœur. On retrouve également cette dimension fantomatique chez ces deux personnages, par opposition à celle de Freddie (à présent concrète, autrefois lui-même fantôme). Sans finalement savoir qui rend visite à qui. Echange des rôles, apparitions, le langage lexical du spectre nourrit une dimension de l’épisode.
Ce chapitre place l’enfant devant des responsabilités d’adulte. L’enfant devant composer avec la destruction de l’être aimée, avec la folie, avec une soudaine solitude, de celle qui vous surprend avec violence, de celle de l’abandon. C’est le spectre d’un ancien ami qui viendra le réconforter, le placer devant sa propre souffrance, lui rappelant que pour sauver quelqu’un, il faut parfois laisser aller, et penser à soi. Que cette leçon vienne de Cook n’a rien de surprenant. Le garçon, revenu du chemin de la rédemption possède cette nouvelle sagesse. Encore un peu brute, encore chargée de l’inconscience adolescente, peut-être encore un peu chargée d’égocentrisme. Skins retrouve la tragédie dans ce qu’elle a de plus sombre, et avec elle, la grâce d’une écriture grave, soucieuse de ses responsabilités dans ce qu’elle tente d’exprimer. On parlait souvent de réalisme quand on mentionnait la série, mantra ayant servi de caution artistique établissant un rapport proche, complice avec sa cible. Cet épisode flirt avec une réalité fantasmée. Et finalement de penser que le terme le plus approprié pour expliquer ces débordements irréalistes, serait authentique. Car malgré tous les éléments exagérés, excessifs, les auteurs conservent un discours, une parole qui colle à la peau de ces adolescents et met en lumière leur trouble, leur complexe, leur blessure, leur chair à vif et la fragilité de leurs émotions.
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