Déflagration critique dans le milieu autorisé. Pigalle, la Nuit déclenche une salve d’opinions positives. Un consensus tel, que l’on se met à douter de sa pertinence. Dans un paysage médiatique qui ne consacre jamais une série française (à deux ou trois exceptions), cette surenchère improbable impose de la réserve à l’idée de découvrir la nouvelle œuvre d’Hervé Hadmar et Marc Herpoux (déjà auteurs de la magnifique mini série Les Oubliées).
Pigalle, célèbre quartier parisien à la vie nocturne agitée et aux mœurs légères, est le théâtre de la série. Véritable visage principal, autant protagoniste que décors, on y plonge en apnée et se laisse porter par le courant. Défilent ainsi des visages récurrents qui serviront d’encrage. Une galerie fondue dans Pigalle, acteurs principaux ou simples habitants. Et comme double, le spectateur se voit présenter Thomas, perdu dans le quartier qu’il ne connait pas, à la recherche de sa sœur, Emma, danseuse virginale, fantasme locale, qui a mystérieusement disparue.
Cette trame principale (mais à l’importance relative) va servir de moteur, déclencheur narratif pour un récit chorale. De ce point de départ, d’autres intrigues vont se greffer en cercles concentriques. Ces deux premiers épisodes permettent de prendre le pouls. Comprendre le fonctionnement, repérer les acteurs majeurs, voire le(s) chef(s). Le rythme y est chaotique. A l’image de la recherche laborieuse de Thomas. Victime de petits larcins locaux, trop naïf, il essuie échec sur échec et peine à trouver des alliés. Son écriture, un peu approximative, sera la seule chose que l’on reprochera aux auteurs. Manque de conviction qui se traduit dans le jeu (à tâtons) et physique (déjà décomposé) de Jalil Lespert, à peine rattrapé par un contexte par définition décousu.
Une vie de quartier. Mais pas n’importe lequel. Avec ses sex shops à chaque coin de rue, le commerce de l’érotisme et du cul étalé sans pudeur. Clients occasionnels, habitués, habitants constituent la faune de Pigalle. Petit régisseur, ambitieux, dents longues tout en maintenant une direction vieillotte, paternaliste, Nadir Zainoun en deviendrait presque l’hôte. Au moins jusqu’à la venu de ce mystérieux propriétaire. Nouveau club branché, hype, luxueux, loin du caractère vieillissant du Folies. On voit déjà la guerre se déployer entre les deux patrons. Sourire en apparence et coups tordus. La première victime se dessine déjà : Alice, brave figure locale, égéries d’association pour la (sur)vie du quartier et propriétaire d’une boutique au centre des convoitises.
Alors que tous les personnages finissent par se croiser, Hervé Hadmar et Marc Herpoux les maintiennent dans une solitude aux horizons fermés. Isolés, malgré la vie grouillante de Pigalle, leur trajectoire semble emmurée. A l’image de Max. Vieille silhouette, corps marqué par le temps. Prisonnier de son propre monde, sa vision de Pigalle. Par lui, on pénètre une autre réalité. Onirique, passéiste, un Pigalle qui a été, dans une dimension parallèle, fantasmagorique. Les auteurs investissent ce lieu (dés)enchanté et donne à Pigalle, la Nuit, une identité duelle. Contre le réalisme ambiant, l’évasion par le rêve ( ?). La série y puise un souffle salvateur, qui gagnerait à investir de plus en plus la narration. Cette vision métaphorique peuplée de créatures fantastiques apporte un contrepoids au climat lourd et vicié de Pigalle. Comme une vision de l’autre côté du miroir.
Les deux auteurs nous offrent un véritable voyage au cœur de Pigalle. On vit la série à son rythme, soumis à sa décadence, ses secrets, sa magie. Confrontation réaliste avec ce soupçon de fantasmagorie, comme si, à Pigalle, tout est un peu différent. Avec ces deux épisodes, Hervé Hadmar et Marc Herpoux réussissent le pari de nous absorber dans cet univers passionnant. Ne manque à l’appel, qu’une pure fascination.
Lire également:
C’est très bien produit, l’ambiance du lieu est parfaitement rendue, et ce n’est déjà pas un mince exploit. C’est juste dommage que tout cela ne soit pas au service d’une vraie intrigue intéressante, l’ambiance c’est bien mais une histoire ça peut être mieux sur un 8x52mns.