Le succès est imprévisible. L’échec peut aussi l’être, mais certains signes ne trompent pas. The Mentalist appartient à la première catégorie. Carton surprise de la rentrée 2008/2009, à la régularité déconcertante de son audience. Au point de se hisser, dès sa première saison, à la troisième place du classement (derrière NCIS et CSI). Il faudrait entrer dans un jeu hasardeux à base de probabilités, de contexte et quelques déductions incertaines pour expliquer ce triomphe public (renouvelé pour sa seconde saison et en France, elle fait la joie de TF1). Une équation aux multiples inconnues que le matheux de Numb3rs serait même incapable de poser (ou résoudre). En revanche, on peut reconnaître les ingrédients d’une réussite critique. The Mentalist est une série qui marie le classique policier un peu dépassé dans sa forme avec des éléments modernes des séries post-2000.
Créé par Bruno Heller (Rome), la série met en scène Patrick Jane, mentaliste (issu de l’illusionnisme, le mentalisme est une pratique qui consiste à simuler des pouvoirs parapsychologiques par l’étude comportemental du sujet) et consultant pour le CBI (Californian Bureau of Investigation) après avoir découvert sa femme et sa fille assassinées par un serial killer (Red John) dont il se moquait à la télévision.
Le personnage de Patrick Jane résume les orientations de la série. On assiste à un retour des shows à personnage, mais on utilise l’archétype de l’anti-héro. On quitte ainsi l’hyperspécialisation policière, pour revenir aux fondamentaux : les enquêteurs. CSI proposait une syntaxe reposant sur l’image (la recherche d’indices et la résolution des enquêtes s’effectuent par le regard), The Mentalist retourne au verbe. Tout comme The Closer, autre série à mettre un personnage fort en figure de proue et à utiliser le dialogue comme principe fondamental. Jane s’inscrit dans un héritage « Housien ». Arrogant, hautain, au caractère volontiers supérieur, il joue dans un registre détestable. Mais il fascine. Sa quête prend la forme d’une rédemption (son passé de charlatan télévisuel a causé la mort de sa famille) et permet ainsi un encrage émotionnel pour le spectateur. On lui pardonne ses défauts parce que l’homme présente des cicatrices et parce qu’il possède un charme immédiat (le choix de Simon Baker doit beaucoup à la réussite du show).
The Mentalist ne brille pas par l’originalité de ses enquêtes. Des scripts déjà vus, sans grosse originalité et au déroulement très classique. Ni par la structure de ses saisons (enquêtes indépendantes, relancées de temps à autres par une apparition de Red John). La série joue (et profite) du magnétisme de son personnage principal. Son sourire irrésistible, son aspect un peu vintage (costume trois pièces, voiture) et surtout, son côté sexy. A ses débuts, on a comparé la série avec Lie to Me (autre formula show policier mettant en scène un détecteur de mensonge humain). Si The Mentalist, sans forcément être supérieur, a écrasé sa concurrence, c’est avant tout sur l’image de son acteur principal. Opposé au froid, austère, disgracieux Tim Roth, Simon Baker incarne une sorte de gendre idéal (faisant abstraction de son caractère). Privilégier l’image affirme souvent une carence dans l’exercice de l’écriture (compenser en jetant de la poudre aux yeux, jouer sur l’apparat), mais dans le cas de The Mentalist, le procédé fonctionne bien et ajouterait un niveau de lecture supplémentaire à la pratique du mentalisme.
Car le mentalisme reste une pratique liée à l’entertainment. Divertir, proposer un spectacle, impressionner une foule. C’est dans cet esprit que se pose la série. Son aspect léger, sa décontraction participent à créer un grand divertissement. Opposé à l’austérité grave de CSI, sans pour autant sacrifier son versant dramatique quand il s’agit d’aborder le fil rouge (sans jeu de mot) Red John. Patrick Jane, au-delà de son obsession pour le serial killer, est un amuseur de galerie. Il voit les scènes de crime, l’interrogation des témoins comme une foire, dans laquelle il se produit. Ce côté décalé permet à la série de ne pas trop se prendre au sérieux, d’assumer sa part de distraction, tout en étant alerte face aux codes d’un genre ultra balisé. Car il est surtout question de tirer son épingle du jeu. Et c’est là que Bruno Heller dégaine son Patrick Jane. Dans un genre similaire, peut-être plus axé comédie, on retrouve Castle (dont la seconde saison réussit une jolie performance au point de devenir une valeur sûre du network ABC).
Avec The Mentalist, Bruno Heller réalise le grand écart. Après les fresques décadentes de Rome et son caractère auteurisant (labellisé HBO), on le retrouve sur un network (CBS), pour une série grand public. Avec la réussite à la clé. Jolie performance pour un auteur qui aura su prendre le pouls d’une époque et d’un genre pour livrer une création qui ne renie pas son classicisme, mais s’accorde aux modes contemporaines. Patrick Jane s’inscrit parmi les House, Lightman (Lie to Me) dont l’arrogance sert une intelligence hors du commun. Des personnages forts, charismatiques, qui portent sur eux tout l’intérêt de la série.
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